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Auteur/autrice : MATOONE

L’éclat des ombres – Chap. 6

L’éclat des ombres – Chap. 6

J’ai connu Santiago au lycée, et le moins que l’on puisse dire est qu’il sortait du lot. Il s’était déjà fait éjecter de deux lycées avant de débarquer dans ma classe de débiles. Il était petit, agité, l’œil rigolard et la voix de retentissante. Sa dégaine tranchait franchement avec les uniformes de l’époque : marques de sport bien ajustées et coiffures surchargées d’un tas de gel « effet vague ». Lui avait plus une allure de SDF. Il s’habillait d’un mélange de surplus de l’armée et de vielles frusques de grenier, le tout bien trop grand pour sa taille modeste. Il était franc et spontané.

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L’éclat des ombres – Chap. 5

L’éclat des ombres – Chap. 5

Un terrible tremblement me sort de mon coma, un grondent intermittent qui fait vibrer ma boite crânienne. Il s’accompagne d’une voix désagréable et furieuse. J’ouvre un œil et le soleil s’y engouffre, cristallisant ma pupille instantanément. Je me retourne à la recherche de mon trou confortable mais le boucan s’intensifie. Il provient de la porte, la porte d’Éloïse, je suis chez Éloïse… Je comprends à présent quelques mots :

 – Ouvres putain, c’est moi !..putain t’es encore HS ou quoi ?

Éloïse à son tour grogne une réponse empreinte de politesse :

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Ceux-là

Ceux-là

Derrière le temps, les épaules accueillantes,

se tiennent ceux qu’effleure notre l’histoire,

ceux qui le temps venu, feront le pas qui compte.

Quand les idoles s’accaparent les regards faciles,

ceux-là seuls battent le fer à l’abri du spectacle,

dans les décombres où l’honnêteté se terre.

Quand le soir tombe, que la sauvagerie erre,

ceux-là ne comptent pas gagner leur douce chambre,

ils ne sauraient guerre y trouver le temps libre.

Ils y a ceux-ci qui se battissent une belle histoire,

de ce folklore qui fait du bien à l’amour propre,

brassant le vent jusqu’à embrasser leurs chimères.

Reste toujours que certaines choses sont faites,

ces choses-là dont le prix fait désert autour,

elles ne sont faites par personne à part ceux-là.

L’éclat des ombres – Chap. 4

L’éclat des ombres – Chap. 4

Je me réveille au milieu de la matinée, vers 10 h. Je saute du lit, je passe dans la salle de bain pour 1 h 30 de pouponnage. La musique est à fond, je chante, je suis tout foufou comme dans une putain de comédie romantique américaine. Cela m’arrive de moins en moins souvent… Je sais très bien pourquoi j’ai la pêche malgré le désastre d’hier : je rejoins Éloïse à midi, chez elle. Il y a peu de chance que l’on mette le nez dehors, vu qu’Éloïse déteste sortir. Moi, ça me va, être avec elle me suffit. Éloïse est mon amie, parfois un peu plus, parfois carrément moins.

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Indirect

Indirect

Derrière ton œil sévère, tes airs de grande séance,

tu me raconte à moi ce que je pense du monde ;

tu te pose en élite des chefs du bout des ondes,

les fesses trop serrés sur ta petite bonne place.

Tu a compris qu’un prisme est un robuste mur,

tu en oubli qu’une faille est une épaisse fenêtre.

Tu te vois validant les faits, autorisant l’histoire,

il y a quelques solitaires qui ne sont pas d’accord.

Ces mêmes qui reniaient la rectitude des rails,

alors que tes mentors guettaient le sens du vent.

Tu a cru dans les rêves d’un autre, d’un commerçant,

il sera loin le soir ou tu annoncera le feu, les cendres ;

il aura, lui, senti la brise monter, les mots s’évaporer.

Sais-tu qu’à ignorer l’histoire, on la répète sans fin,

Sais-tu que des têtes légitimes ont déjà bien roulé.

Je te l’accorde, c’est souvent les symboles qui trinquent,

mais ceux qui les soufflent, ces apprentis sorciers,

devrait se faire discret, devraient le sol garder ;

car les lames n’oublient pas, elles patientent en silence,

leur tranchant méconnaît le goût du temps qui passe.

L’éclat des ombres – Chap. 3

L’éclat des ombres – Chap. 3

J’arrive au rade à 19 h 30 et Picks a déjà attaqué sérieusement les hostilités. Je lui fait la bise et prends une bonne bouffée d’alcool volatile mêlé aux effluves d’une journée de transpiration. Je connais Picks depuis notre adolescence, ce n’est pas moi qui lui ai donné ce surnom débile et je ne sais foutrement pas d’où vient cette appellation. Depuis que je le connais, et certainement depuis toujours, Picks présente deux facettes au monde.

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L’éclat des ombres – Chap. 2

L’éclat des ombres – Chap. 2

Immanquablement, le son du réveil est une saloperie. Qu’importe s’il on choisit de belles cloches avec son d’oiseaux guillerets, ce putain de son claque les oreilles comme un soûlard de PMU. Ce matin ne fait pas exception et j’ai déjà la rage au bord de ma paupière entrouverte. Je rampe hors du lit comme un cheval blessé, je m’extirpe du cocon chaud de mes draps et je n’ai qu’une idée en tête : café.

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L’éclat des ombres – Chap. 1

L’éclat des ombres – Chap. 1

Ce soir je suis assis dans ma terrasse, je fume une cigarette les yeux fixés entre deux étoiles esseulées. Je ne suis pas présent, je navigue dans le temps , entre constat et illusion. J’aime a m’asséner des rafales de vérités fadasses : « dure réalité », «ainsi va la vie » « a chaque jour suffit sa.. »…Autant de sacs de mots volatiles qui seront balayés à la première bourrasque, je le sais.

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Mon humanité

Mon humanité

Longtemps je t’ai vécu à travers des carreaux embués,

tu décochais tes flèches sur mon égo en berne,

t’agitant, frénétique et suintant l’élite mal débridée,

je t’ai subit mille fois au soleil des jours ternes.

Qui es tu toi ? à moquer ton sang qui se fige,

À écraser tes fils comme on corrige les fautes,

A jouer le flegme des filles que rien n’afflige.

J’aurais voulu, moi, t’écrire une belle histoire,

de celles du cinéma, mêlant amour et force,

où le courage abat jusqu’au dernier des monstres.

Mais tes manières ont attristé mes causes,

ont réveillé un loup rageur que rien ne rassasie,

je n’ai fait que le fuir, semant de plates excuses.

J’ai fendu le désert, traqué par les remords,

les mollets mordillés par la somme de mes tords,

et le cœur frelaté des remèdes bien trop forts.

Dans une chute, une aurore, j’ai vu une étincelle,

tu t’es posé près de mon corps, le sourire gêné,

sans vouloir t’éloigner, sans me laisser sombrer.

Il me semble que j’abrite une précieuse part de toi,

je la vois quand je pose mes logiques étroites,

je comprends que les gouttes ont l’océan pour roi.

Où irons nous si l’égarement nous gagne ?

un trop plein de torpeur et nous serons détruits,

je ne suis plus de ceux, que l’oubli accompagne.

Faisons donc quelques pas, fussent-ils sinueux,

soyons tes amoureux nouveaux, tes audacieux,

que le présent appelle, que le passé délaisse.

Laisses moi te monter qu’il me reste une braise,

je pourrai alors croire que tes enfants s’embrassent,

laisses moi une nuit à contempler tes œuvres,

je pourrai sans regret rejoindre un de tes fleuves.

APRES LE THEATRE

APRES LE THEATRE

Mes cervicales me font mal. Mon cou se crispe et la douleur s’empare de ma nuque à petit feu. J’ai pour ça quelques remèdes tout trouvés. Je prépare ma petite popote avec empressement, car ce soir je suis de réception. Je suis attendu au cœur même de la stratosphère parisienne. Mon chauffeur fume une cigarette en bas de mon immeuble, il a le temps, lui. Moi, j’ajuste mon costume de compétition, il laisse entrevoir que je suis sportif tout en alertant sur mon statut social. Parfait. Je reprends un peu de remède, au cas où, et je descends rejoindre la berline lustrée.

– Bonsoir Yohan, tu vas bien ?
– Bonsoir Monsieur, très bien et vous-même ?
– J’ai la pêche des grands jours, allons-y.

Nous empruntons les grandes artères de la ville. J’observe les globules qui s’agitent en ce début de nuit. Je me dis que peu d’entre eux iront nourrir le cerveau alors que j’en prends la direction par la carotide. Nous arrivons aux abords du palais de l’Élysée. Les contrôles sont aisément franchis grâce aux accréditations de mon chauffeur. Il se gare dans la cour.

– Bonne soirée Monsieur.
– Merci Yohan, à tout à l’heure.

A peine ai-je posé le pied sur le sol qu’une trentaine de flashs crépitent et m’explosent les rétines.
Je ne laisse rien paraître et décoche un large sourire au troupeau de journalistes basés dans le coin presse. Je monte les marches avec assurance et le personnel m’oriente poliment en direction de la salle de réception.
Et me voilà, au cœur du bouillon, là où s’exprime la saveur de mes talents. Je suis un chargé de communication de l’Élysée. Attention, je ne fourgue pas des ballons et des stylos tricolores, mon travail se rapproche plus de la mise en scène extrêmement sophistiquée ; qui plus est, en temps réel. Et j’ai dû briller pour en arriver là ; j’ai d’abord du être major de promo, puis j’ai conseillé des directeurs, des élus locaux et un ministre. Je suis bon dans mon métier. J’ai toujours su habiller les faits de manière élégante. Je peux construire une épopée épique dans un terrain vague, c’est d’ailleurs ce que je faisais étant gamin. Je sais ce que le public veut et je sais que la réalité, mon matériel de base, peut s’y ajuster à l’aide de mon savoir-faire.
J’aperçois le directeur du cabinet qui s’avance vers moi.

– Alors l’artiste ! Tu viens récolter tes lauriers ?
– Bonsoir Monsieur le directeur.
– Encore bravo jeune homme, tu nous as remis sur les rails. Ces G.T allaient nous péter en pleine poire !

J’ai toujours été surpris par le langage familier du directeur dans un cercle restreint. Mais il est loin d’être un cas isolé.

– Merci Monsieur le directeur. Vous savez que je suis là pour ces situations.
– Allez, profite un peu ! Il y a tout ce qu’il faut. Pour les fringants, le groom vert est même dans la salle je crois.

Par ces termes, le directeur désigne un célèbre fournisseur de « services » pour les hautes sphères parisiennes. Il est connu pour contenter les désirs fantaisistes de ces messieurs blasés en costumes rutilants. Il propose, il écoute et il trouve. Bien qu’il soit, lui aussi, un être très talentueux dans son domaine, j’ai toujours éprouvé une certaine retenue à son égard. En réalité, je ne veux pas trop en savoir sur ses prestations. Cela pourrait certainement être utile à mon activité mais cela me met mal-à-l’aise. Pourtant, je fais moi-même appel à lui sporadiquement ; j’hésite même à lui commander une belle fille plantureuse pour cette nuit. Mais pour l’heure, les congratulations pleuvent. Je souris, je mange, je plaisante et je bois beaucoup. L’alcool anesthésie ma nuque dont la douleur se rappelle à moi par moments. Malheureusement, le mélange avec mes popotes n’est pas du plus bel effet. Mon dynamisme s’évapore et je commence à marcher d’un pas moins assurés. Ne voulant surtout pas ternir mon image, je file discrètement dans la cour rejoindre Yohan et sa berline pour un retour au bercail brumeux mais salvateur.


De nouveau cette douleur me réveille. La crispation s’était atténuée durant ces trois jours de repos. Mais la revoilà, en pleine nuit. Je respire profondément et lentement afin de détendre mes muscles mais rien y fait. La douleur a pris d’assaut ma nuque et y tient son siège. Je m’agite pendant quelque temps puis me résous à me préparer une popote quand un téléphone sonne. Je suis moins habitué à cette sonnerie, c’est le portable d’astreinte dédié au cabinet. Jamais éteint, jamais perdu, c’est la règle de cette petite merveille. Je sais déjà que c’est du sérieux quand on m’annonce une cellule grise en préparation, le chauffeur est déjà en route. A peine ai-je le temps pour ma popote et un habillage digne de ma fonction que le téléphone s’acharne de nouveau ; on me presse d’arriver. Yohan semble aussi ravi que moi de cette petite virée nocturne. Nous parcourons aisément les artères peuplées de quelques rares globules imbibés. Après les contrôles de rigueur, on m’accompagne au sous sol de l’aile B du palais. Je pénètre une salle truffée d’écrans, et prends place au bord d’une immense table autour de laquelle campe un petit groupe fort hétéroclite. Outre le premier ministre, que je reconnais à son air suffisant, ses propres chargés de communication et mes homologues du cabinet, se trouvent là des individus que je ne côtoie pas. Il y a quelques scientifiques aux costumes moches et beaucoup trop grands, que j’ai aperçu lors de l’affaire G.T. Mais il y a aussi trois personnages étranges à ma droite. Ils ne portent pas de costumes, mais de vieux ensembles gris faits d’un genre de coton étonnamment épais. Ils sont pâles et immobiles. Je perçois un vent froid provenant de leur direction, comme si trois climatisations humaines siégeaient à ma droite. Le président rentre un téléphone à l’oreille. Il prend quelques minutes pour terminer sa conversation. Je peux entendre quelques bribes : « d’accord », « faisons cela », « je vois avec eux », « n’ayez crainte, elle s’implantera ici comme ailleurs ». Puis il raccroche, s’assoit en bout de table, et s’adresse à la petite assemblée :

– Bon, messieurs, merci d’être venus sans tarder. Je vais être direct, la cellule grise est activée car nous éprouvons de nouveau des difficultés avec les avancées G.T. Les proportions en termes d’image sont maintenant énormes, c’est pourquoi vous êtes ici.

Je n’ai jamais compris l’entêtement du gouvernement à mettre en place ces fameuses antennes G.T. Il s’agit des stations de base de déploiement de la toute dernière génération de téléphonie mobile. Les performances à venir, vantées par mes collègues aux larges costumes, seraient inespérées. Seulement, il y a quelques couacs. Déjà, avec la génération précédente, les incidents « sanitaires » s’étaient multipliés. Au début, le gouvernement de l’époque avait eu à faire à des cas habituels d’infertilités, d’insomnies, ou encore de baisse des défenses immunitaires. Puis, des cas de démences subites s’étaient multipliés. Lors de sa campagne, le joli président à ma gauche avait annoncé qu’il prendrait toutes les mesures nécessaires pour résorber ce grave problème de santé publique. Il se garda bien cependant de préciser qu’il connaissait les corrélations étonnantes avec les tests de performance des réseaux ; pourtant susurrées à son oreille par le même genre de coquins que ceux siégeant en face de moi. Après son élection, les tests avaient continué avec une intensité toujours plus croissante. Le mois dernier, j’ai dû discréditer un toubib franc tireur qui multipliait les alertes auprès de l’ANSP et dans la presse, au grand dam de l’ANSP elle-même. Mon habilité avait été grandement appréciée et il semblerait qu’elle soit de nouveau sollicitée avec impatience par le président lui-même.

– Gravelec nous a joué un sale coup, il a posté hier soir des vidéos de ces travaux à l’ensemble de la liste de vigilance. Nous ne savons pas comment il a obtenu ces contacts. Il s’agit, soit d’un piratage de haut vol, soit d’une trahison interne. Quoi qu’il en soit, je m’adresse d’ores et déjà à nos amis des MP ici présents : peut-on intervenir sur un nombre aussi important d’individus ?

Une climatisation humaine, impassible, prend la parole :

– Assurément non, Monsieur le président. Nos forces, mises à mal par les résurgences du cartel des eaux propres, ont déjà le plus grand mal à neutraliser ce curieux monsieur Gravelec.
– Je vois…Votre utilité paraît de plus en plus relative, de surcroît face à l’arrivée de nos nouveaux outils…
– Nous avons déjà alerté Monsieur le président sur l’inutilité de ces gadget électromagnétiques. Nous soutenons qu’ils ne peuvent engendrer que résistances, à la fois de l’esprit, mais aussi des organisations d’opposition politique. Leur utilisation empêche tout ciblage des interventions et perturbe nos propres agissements. Il s’agit d’outils peu subtils utilisés par des êtres à la sensibilité bovine…

La tension monte, le premier ministre intervient :

– Certes, nous entendons vos réserves. Nous avons cependant une contre-attaque à mettre rapidement en place. Mes services proposent de s’orienter vers une action de groupuscules d’extrême gauche, ou droite. Gravelec, déjà sympathisant, apporterait son soutient dans le but de sauver son image.

Je digère doucement ces échanges dont je commence à percevoir les enjeux. Mais déjà le président se tourne vers moi :

– Une idée peut-être chez mes propres services ?
– Eh bien…rrmh…Monsieur le président, il m’est délicat d’intervenir sans connaître…rrmh… plus concrètement le… théâtre des opérations.
– Jeune homme, vous êtes spécialiste com, nous avons besoin d’une réponse com.
– Je dirais que…j’imagine cette liste de vigilance assez fournie. Il faudrait donc rapidement empêcher toute riposte publique organisée, du moins sur le territoire national. Vos ennemis extérieurs doivent déjà être aux aguets, il faudrait les mettre dans la boucle…J’ai cru comprendre le mois dernier que beaucoup de composant G.T venaient d’Asie…Nous pourrions donc partir d’une attaque extérieure apportant un soutien logistique à Gravelec. Cette attaque massive provoquerait un blackout du réseau sur le territoire, ce qui minimise toute interopérabilité de la liste de vigilance. Il faudrait dès maintenant contacter les opérateurs pour…

Le président se tourne vers les scientifiques :

– Quel délai pour bloquer les réseaux ?
– Nous savons précisément où nous adresser, un blackout dans les 4 à 5 heures serait envisageable.
– Bien… Mes services vont peaufiner le scénario d’une attaque chinoise. Dès demain, en conférence de presse, j’évoquerai succinctement cette piste-là…

Je suis assommé par l’enchaînement des décisions. Tout va trop vite. J’ai réagi par réflexe, par stimulus, sans penser que mon scénario serait retenu, ni même écouté. Il y a trop de zone d’ombre pour moi, trop d’acteurs inconnus. Le président, voyant mon désarroi, stoppe ses instructions et s’adresse à moi. J’ai mal à la nuque et je ne comprends pas ses phrases. Il fait un signe à des agents postés debout. Ceux-ci me raccompagnent doucement vers la cour. La berline m’attend. Sur le siège arrière, je prépare avec difficulté mon propre black out. Yohan doit m’aider à m’extraire de la voiture. Il m’aide aussi à monter les escaliers, il est bien ce Yohan…J’utilise mon reliquat d’énergie pour ouvrir la porte, je vois mon canapé approcher, puis c’est la déconnexion.


Réveil difficile, encore. Ma boite crânienne a rétréci dans la nuit. C’est maintenant mon cerveau qui m’agresse, il se déchaîne à coups de masse réguliers sur les parois de mon crâne. La douleur va jusqu’à me faire pleurer, ce qui l’amplifie. Je m’extirpe du salon en me cognant sur toutes les surfaces solides ; j’atteins le couloir de la salle de bain, le placard, la boite, une poignée, de l’eau. Je retourne me tordre en deux dans mon lit pendant une heure. Puis vient le moment où la douleur se diffuse. Je peux éliminer les derniers désagréments à l’aide d’une cuisine légère et vite expédiée… Reste le malaise, dont la persistance m’interpelle. Je repasse la scène de la cellule grise, je cherche à comprendre. Il est clair que l’Élysée peut compter sur des méthodes plus obscures que ma bonne vielle com. Ces M.P. quelle que soit leur appellation complète, semblent utiliser une sorte d’emprise sur des individus ciblés. La G.T les gêne, le gouvernement s’y acharne ; il doit vouloir se passer d’eux et je le comprends. Cela ne relève pas de ma compétence mais cela m’affecte, pourquoi ? Je ne suis pourtant pas homme à m’embarrasser de scrupules inutiles, j’ai pesé ces choses-là lorsque j’ai commencé mes études et j’ai rapidement conclu que si les gens étaient assez bêtes pour croire aux petites fables que je voyais tous les jours à la télévision, il fallait en profiter. Conscient de mon talent, je voyais même là un vaste champ de blé à faucher. Quand bien même il y avait des guerres derrière les mensonges, les nations pratiquaient ce sport depuis des lustres. Quelles différences entre vidéos et catapultes ? Les guerres de pouvoir font des morts, c’est comme ça. C’est comme ça… je n’arrive pas à poser cette étiquette sur les pratiques que je soupçonne aujourd’hui. Je crois que je commence à isoler le cœur de mon inconfort : le libre arbitre. Ce qui me gêne, c’est le libre arbitre. Un putain de cas de conscience ! À moi…Effectivement, je dois l’admettre : le fait que les règles de base de la compétitivité entre individus soit biaisées, je ne l’accepte pas. J’ai misé sur la compétitivité, sur les capacités plus ou moins développées de chacun à comprendre son environnement. Les abrutis rament, les meilleurs sont sur le pont. Mais si les meilleurs sont des imposteurs, où va le bateau ? Cela m’amène d’autres questions : avec qui le président s’entretenait-il en entrant dans la cellule grise ? Il y avait de l’obéissance dans ses paroles… c’était l’armateur du bateau fou ? Le producteur de ce navet de merde ? Et que veulent-ils implanter bordel ? J’essaie de me calmer. J’aimerais appeler des amis mais les rares qu’il me reste encore sont bien loin et bien occupés par leurs familles. Mes parents sont des gens fatigués, à quoi bon les inquiéter ? Je décide d’appeler innocemment le directeur du cabinet pour en savoir plus :

– Bonjour monsieur le directeur, c’est…
– Salut l’artiste ! Alors, tu avances sur la riposte ? Dis-moi tout.

Le ton est cordial mais expéditif.

– Eh bien, j’y travaille. Et concernant les derniers détails, je me disais qu’une aide ponctuelle de ces fameux M.P. Serait la bienvenue…
– Stop ! Laisse tomber ça. Je vais être clair : pour moi, c’était une erreur de te convoquer en cellule grise. Alors, tu oublies les M.P., tu ne sais même pas ce que c’est…bosse sur ta riposte com et appelles-moi quand tu a fini.

Ce n’était pas une bonne idée. Je n’en sais pas plus qu’avant et le directeur devient méfiant. Je n’ai pas envie de suer sur leur riposte à la con. Je n’ai plus la pêche, mes certitudes ont pris un mauvais coup. Bizarrement, je sors le vieux disque dur de mes années de branleur. Je clique, je souris ; j’expire avec mélancolie devant mes amours de jeunesse ; je parcours une autre vie que la mienne. Les heures passent, le téléphone sonne, le jour se lève. Je me lève aussi mais ma vision se brouille. Je perd l’équilibre, m’accroche à une chaise, fais une pause. Et puis le froid…une déferlante de froid me balaye et me cloue au sol. Je ne vois plus rien hormis des nuages lumineux bleutés. J’entends une voix : « incontrôlable, verrouiller ».


Je me réveille sans douleur, ça fait du bien ! Je suis dans mon lit, habillé. J’ai dû me traîner jusque-là en pilote automatique ce matin. Les lumières de l’après-midi flirtent avec la poussière de ma chambre. C’est une danse lumineuse par-delà la gravité…sincère et éternelle. J’apprécie le spectacle. Pas besoin de popote, je suis serein, même les crispations ont disparu. Je me lève doucement, j’allume la radio et le PC. La radio martèle les extraits de conférence de presse sur la nouvelle attaque chinoise. Je jette un œil aux infos locales pour éviter cette mascarade. Je tombe sur une photo du groom vert : l’article annonce l’assassinat d’un proxénète de Seine-et-Marne. Trois balle de neuf millimètres, efficace… J’éteins tout et je saisis mes téléphones portables sur le sol du salon : dix appels en absence sur mon perso, quinze sur le portable d’astreinte. Je veux partir. Ce soir, je me porte malade. C’est crédible au regard de mes dernières sorties de scènes. Après, je préciserai qu’il s’agit de crises de je ne sais quoi, incompatibles avec mes fonctions. Je démissionnerai en fin de semaine, je rendrai l’appartement et ce qu’il y a dedans. Je prendrai un train pour… n’importe où. Et je… BZZztt… Monsieur ! C’est Yohan ! Vous allez bien ? BAM..BAM…Monsieur ! Vous nous inquiétez ! Je décide d’ouvrir à ce brave Yohan.

– Ah ! Je suis ravi de vous voir debout monsieur. Il semblerait que vous ne daigniez point répondre au portable d’astreinte. Je me permets de vous rappeler la règle de…
– Je sais Yohan, mais j’ai des problèmes de santé, il va falloir que je prenne quelques congés je crois.
– A votre aise Monsieur. Vous allez pouvoir l’annoncer en personne au directeur, nous avons rendez-vous. Et rassurez-vous, il vous a déjà trouvé un remplaçant. Ce ne sera certainement qu’une formalité.

Vu sous cet angle, cela me permettrait effectivement de partir plus vite, mettant les choses au clair sur ma curiosité que je gagerai d’enterrer. Je m’habille rapidement, je masque l’absence de douche par mon parfum de luxe et je rejoins Yohan et sa fière berline. L’après-midi touche à sa fin. Les globules sont agités et se regroupent par paquets, ça sent l’embolie… Nous prenons la direction du périphérique, j’interroge alors Yohan sur notre destination.
Vous savez Monsieur, avec l’agitation qui règne au palais, et l’armée de journalistes qui incruste les lieux, les réunions délicates se font maintenant dans des lieux plus calmes.
Normal, me dis-je, surtout si ces quiches de scientifiques ou ces saletés de M.P. Sont de la partie. Après une bonne heure de route plutôt silencieuse, nous nous éloignons de l’agglomération.

– La vache ! C’est que je suis crevé moi, j’espère qu’on va pas au bout du monde…
– Ne vous inquiétez pas Monsieur, nous sommes presque arrivés, le lieu doit être discret pour les raisons que vous connaissez.

Yohan prend un chemin de terre et je suis saisi d’une inquiétude fulgurante. Il m’observe dans le rétroviseur et remarque la chose.

– Nous allons entrer dans un site souterrain classé secret-défense, l’accès se fait sur notre droite.

Yohan n’est pas un bon menteur, je le sais, car je suis, moi, un excellent menteur. Nous sortons de la voiture garée sur un terrain vague, au bord d’une ancienne carrière. Cela me rappelle le terrain de mon enfance, lieu de mes premiers récits, les plus innocents. Le jour se couche derrière les petites falaises de la carrière. Je regarde la lumière faiblir et les panaches pastels envahir le ciel. Puis un énorme clap retentit. En un flash, je retrouve mon terrain vague à moi. Tout est là : le rocher forteresse, mon arbre elfique, la montagne des braves, la jungle des herbes hautes, l’odeur de l’été, les sons de l’insouciance et… Céline ! Je ne me rappelais pas de Céline… Céline était ma compagne de jeux, ma coréalisatrice ; et elle m’attend pour une odyssée lyrique éternelle.