L’éclat des ombres – Chap. 4

L’éclat des ombres – Chap. 4

Je me réveille au milieu de la matinée, vers 10 h. Je saute du lit, je passe dans la salle de bain pour 1 h 30 de pouponnage. La musique est à fond, je chante, je suis tout foufou comme dans une putain de comédie romantique américaine. Cela m’arrive de moins en moins souvent… Je sais très bien pourquoi j’ai la pêche malgré le désastre d’hier : je rejoins Éloïse à midi, chez elle. Il y a peu de chance que l’on mette le nez dehors, vu qu’Éloïse déteste sortir. Moi, ça me va, être avec elle me suffit. Éloïse est mon amie, parfois un peu plus, parfois carrément moins.

Il peut se passer plusieurs mois sans que nous n’ayons aucun contact. En effet, la dame est pour le moins taciturne et j’imagine le profil a rallonge qu’un psy établirait, s’il avait la patience de l’analyser. Elle n’aime pas grand monde Éloïse et elle limite ses sorties dans l’hyperespace au strict minimum. Assez peu adaptée au monde du travail, elle subsiste grâce à des petits boulots, à des plans plus ou moins bancals, à quelques magouilles ou trafics divers, et grâce à l’aide sociale. Éloïse a une passion très chronophage : elle adore se défoncer la gueule. Elle a de l’ancienneté dans la discipline et on peut dire qu’elle s’engage éperdument dans son hobby. Elle s’éveille à la cocaïne, passe l’après-midi sous MD ou marie-jeanne ; en soirée, elle commence à la bière puis fini le boulot au double impact vodka/benzo. Suivant les périodes elle s’attaque à la marron, mais je la vois rarement dans ce phases là. Soutenir un tel rythme est, je pense, impossible pour un être humain lambda et il est d’ailleurs arrivé à Éloïse de partir complètement en quenouille. Cela lui a valu de faire quelques séjours de « repos assisté », qui ne l’ont absolument pas décidé à changer cette cadence sportive. Elle diversifie sa consommation pour se donner une illusion de contrôle mais je perçoit son équilibre comme extrêmement précaire. Je l’ai déjà vu au bord de l’humanité, baveuse et rampante, à demi consciente et cela m’a donné l’impression d’une personne à moitié morte. Je crois qu’Éloïse est dépressive et suicidaire. Mais Éloïse n’est pas que cela. Elle fait partie des rares personnes avec lesquelles je parle de sujet de fond. Je ne suis pas en pilote automatique quand nous échangeons, je ne puise pas dans mes sacs de phrases prêtes à l’emploi. Nous ne parlons pas stratégie, crédit, voyage, conflit ou cuisine. Les préoccupations mondaines flottes sur nos têtes pendant que nos âmes danses et s’embrassent. Nous distillons et redistillons nos vies afin d’en isoler le nectar. D’un point de vue extérieur, nos discussions doivent paraître vaines et endormies ; mais elles drainent ma poitrines des tensions qui y sont solidement contenues. Bien sûr, les psychotropes aident, et Eloise est une pharmacienne éclairée. Au fil des arrivages, et en fonction de mon humeur, elle sait me proposer le traitement adéquat. 

Je sonne chez elle à 13 h armé de 3 litre de bières fortes, mais pas dégueu. Éloïse me met à l’aise et je vois dès mon entrée qu’elle a reçu quelques friandises récemment. Le programme s’annonce convenu mais efficace, elle a fait rentrer une vingtaine de grammes d’une sympathique cocaine qui a peu circulé. Nous nous y collons rapidement et je perçoit effectivement au dessus de mon palais un arrière goût tout a fait prometteur. L’association avec la bière fait surgir sans attendre un autre aspect, discret mais fondateur, de notre relation : l’excitation sexuelle. Éloïse le sait. Sans l’avoir réellement anticipé, elle est consciente que son état d’esprit est propice à ce petit jeu bouillonnant. Elle ne souhaite donc pas la sédation pour l’instant. Je suis chez elle depuis ¾ d’heure, nous rions et nos corps se rapprochent. Je ressens l’énergie affluer au bas de mon ventre, je goûte à la puissance de la sensualité, je m’y abandonne et je constate ses encouragements avec joie. Éloïse aime les robes colorées aux tissus fins. Posés sur ses courbes, ces minces morceaux d’étoffes se transforment en bombe à hormones. Je ne crois pas qu’elle fasse de sport mais les muscles de ses jambes sont saillants et invitent à la caresse. Sa taille est fine, ses hanches marquées et ses fesses rebondies. Ma tête s’échauffe et j’éprouve de grande difficultés à ne pas fixer ces dernières avec une insistance légèrement perverse. Éloïse en joue avec une subtilité relative, elle multiplie les trajets dispensables vers la cuisine, exhibant la grosse pomme à mes yeux d’ahuri. Elle bombe le torse afin de me rappeler qu’elle dispose d’autres attributs. Elle sait que j’adore sa poitrine. Je crois bien qu’une fois, j’ai passé une heure à l’embrasser et à la saisir de toute part, comme si je tenais entre mes mains la quintessence de l’univers. Notre discussion prend une tournure plus charnelle, elle me trouve « en forme », me dit qu’elle aime mes cheveux fins et jette ses jolis doigts souples dans le broussailles juchant mon crâne. Une vague de frissons prend naissance dans mon cuir chevelu, parcourt ma colonne et vient s’écraser dans mon bassin. Je lui parle de sa robe, de sa peau ; je lui dit qu’elle est jolie ; elle sourit et me harponne de son regard félin. Je m’approche, elle reste sur place et lève la tête en fixant mes lèvres. Le contact se fait, la décharge électrique a lieu. Nous avons joué avec la tension et nous laissons maintenant libre court à l’intensité du courant. Elle saisie mon cou, elle maltraite mon tee-shirt, je ne sais même pas si elle cherche à l’enlever… J’agrippe ses fesses et je la serre contre moi. Les habits volent, le canapé nous accueille. D’abord elle sur moi, l’amazone de la came au corps de déesse me chevauche lentement. Puis elle accélère, j’ai la tête plongée entre ses deux seins que je serre contre mes arcades blessées. Elle arrête et se lève, je reste comme un con, le membre esseulé. La miss part mettre de la musique, elle prend son temps, gigotant tranquillement devant son spectateur ébahi. Enfin, elle revient, me prend par la main pour me lever et elle s’allonge son son vieux tapis. Elle m’accueille et m’embrasse, elle me serre en gardant mon torse contre elle. L’amplitude de mes mouvements s’en voit plus contrainte, mais permet une manœuvre plus intense et durable. Nous gardons cette position un moment, puis je sens nos deux corps impatients. Je me retire, elle se retourne et nous finissons l’étreinte dans une configuration plus bestiale. Alors, nous nous allongeons côte à côte et je retrouve ses yeux limpides que ma libido avait éclipsé. Les caresses se font douces et légères, les mots sont absents. Nous fumons l’herbe du moment et nous dormons tandis que le soleil illumine milles particules étoilées à travers les interstices des rideaux.

Nous nous éveillons en début de soirée. Dehors la ville change de visage et nous observons par la fenêtre les premières notes de la grande danse du samedi soir. Les familles rentrent, les fêtards sourient et s’agitent. Les filles sont apprêtées ; elles veulent donner l’impression qu’elles sortent entre filles, pour discuter entre elles, se disent-elles sur leurs écrans qui éclairent les visages souriants. Mais elles discutent entre-elles au milieu du vacarmes des groupes qui s’épient. Entre-elles parmi les autres… Le regard fuyant discrètement, prêt à saisir les occasions que l’alcool occasionne. Éloïse observe cela avec une certaine tendresse je crois. Mais elle ne risquera pas un oreille dans cette comédie, et j’en suis ravi. Je l’ai pour moi tout seul, enfin pas tout à fait… Éloïse sort une feuille de papier pliée d’un de ses tiroirs et je comprends qu’il y a une autre invitée pour ce soir. Je lui propose de manger car je sais que la nourriture risque de passer rapidement au second plan. Je descends chercher un poulet dans la rue, et deux bouteilles de vin rouges bon marché. Lorsque je remonte, fier de mes emplettes, posant le festin odorant sur la table, je vois en un instant que le regard d’Éloïse s’est tamisé. Ses paupières ont chuté lourdement et le sable a terni ses yeux que je ne croise plus. Sont temps de réaction n’est plus le même et le dialogue s’avère vite fastidieux. Je sers deux verres de rouge qui tache et j’attaque le poulet. Je dévore car l’herbe de l’après midi m’a affamé. Éloïse picore et sirote par moment la cuvée de bitume. Je fini vite mon demi-poulet et je bois aussi vite la première bouteille, cherchant par là le courage de bousculer mon amie. Je tente de lancer le dialogue sur quelques lieux communs mais je jette rapidement l’éponge. Elle a du forcer un peu. Ce n’est plus mon amie mais un corps en sursit à demi habité par une énergie qui s’échappe. Elle s’échappe sans nulle part où aller. Elle quitte le matériel où elle ne trouve plus d’ancrage pour les profondeurs d’un océan de limbes. Éloïse est maintenant somnolente, elle marmonne quelques phrases incohérentes. Il est question de moi par moment, d’affection me semble-t-il. Mais je sais ce qu’il en est. Je l’accompagne sur son lit, la soutenant par la taille que j’ai eu tant de plaisir à saisir. Pour l’heure, la sensualité est partie en poussière et je l’allonge avec la délicatesse que me permet le vin qui phagocyte peu a peu mon sang. Elle marmonne encore une minute puis sombre dans un sommeil plus profond que celui de l’après-midi. Je resterai là cette nuit et je surveillerai de temps en temps le soulèvement régulier de sa poitrine. Je retourne au salon, j’ouvre la petite sœur et je fait face au papier froissé qui abrite cette autre amie d’Éloïse. Je l’observe un moment, un peu jaloux, un brin accusateur. Éloïse m’en a déjà préparé certains soirs, mais elle a toujours pris soin de doser la chose avec une grande parcimonie. Elle connaît la qualité de son produit et ne méconnaît pas mon manque d’habitude. En cet instant, je suis seul, très seul. Je tourne en round dans l’appartement bordélique d’Éloïse, vérifiant régulièrement, avec un légère obsession, les mouvements de la superbe poitrine de la taulière. Sa respiration est régulière et profonde, je suis serein mais encore bien loin d’avoir sommeil, donc je rejoins le salon, encore. Ma démarche est vacillante mais mon esprit est encore vif. Je suis trop alcoolisé pour lire ou pour regarder un des quelques bons films que garde Éloïse et je ne suis pas assez enthousiaste pour appeler un ami. Je me rassoie et je déplie légèrement le papier au trésor. La poudre paraît plus sombre et plus grossière que celle que j’ai eu l’occasion de goûter. J’hésite quelques minutes, je verse une petite quantité sur la table, pour voir. Je travaille et retravaille le petit tas avec ma carte bleu, comme un gamin joue avec du sable. Puis sans trop le vouloir, j’en extrait un plus petit tas que j’isole sur le côté. J’essaie de garder la main légère et dessine une trace d’un demi-pouce de long. J’attends. Je bois de nouveau du vin et je passe à la fenêtre voir les fêtards gesticuler dans la rue. Je me rassoie. Je déchire une bande de papier que j’enroule doucement sur elle même, entre mes doigts secs et glissants. J’observe mon instrument encore quelques instants puis je plonge sur le bord de table. En deux seconde j’aspire mon dû et relève ma tête en continuant l’inspiration. Je déteste le goût et le picotement de cet poudre. Mais je ferme les yeux et je la laisse traverser mes sens et envahir mon cerveau. Rapidement, je me sens à la fois plus volatile et plus lourd, comme une montgolfière de plomb qui stagne au centre de la pièce. Je sourit et je m’affale sur la vielle chaise pourrie d’Éloïse qui se transforme en Chesterfield confortable. Du temps passe, des secondes ou des minutes, je ne sais pas trop. Je saisi mon verre à intervalles régulier, puis je le remplis comme pour défier la solitude. Je souhaite maintenant me lever pour scruter les lumières de la ville mais je suis lent et approximatif. Je décide de poser la chaise, tant bien que mal, devant la fenêtre. Je regarde longuement la ville et ses certitudes. Les morceaux de temps s’étirent jusqu’à n’être que des fils d’araignées, insaisissables et cassants. Les lumières m’hypnotisent. Par paires, elles filent à travers la ville, sur de larges rails de bitume. Les quelques reflets colorés décochent des petites virgules de lumière qui s’évaporent dans la nuit, comme les touches de pinceau furtives d’un artiste trop pressé. Derrière ce tableau lumineux, je ressens la vie en mouvement, j’imagine les histoires des humains, en filigrane. Ces histoires qui s’interceptent et dont les impacts créent d’autres histoires. A leur tour, ces histoires se propagent dans toutes les directions et se recroisent encore. Le résultat m’évoque la surface calme d’un lac dans lequel on jette une poignée de graviers. L’évolution ne peut tendre que vers une le sublime chaos. Je me lève, prends ma chaise et retourne à la table. Je rempli mon verre et prépare une trace, plus grosse, beaucoup plus grosse. Je règle vite l’affaire et je tente vaillamment la station debout. Je m’appuie à présent sur les murs, étendues stériles immaculées de lumière électrique ; la coordination de mes mouvements devient douteuse et elle me permet à peine de gagner le canapé. Une fois écroulé, je ressens la satisfaction de l’oubli. Cet état tant recherché par certains, cause de maintes addictions, ce non-être qui échappe à la condition humaine. Je m’allonge habillé en laissant la lumière allumée. Qu’importe l’inconfort et la gène, le cocon douillet est en moi. Je suis caressé et choyé par de douces mains chaleureuses qui opèrent en moi. Je souris de nouveau et je quitte la planète. Je sors du disque galactique et je m’arrête à distance suffisante pour le contempler intégralement. Puis je pars.

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