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Catégorie : Les Allégories Vagabondes

Le nuage ancestral

Le nuage ancestral

Et si nous venions d’une âme universelle, entité suprême, déversant d’infimes fractions d’elle-même à travers les êtres que nous sommes.
Et si celle-ci réceptionnait en son sein les âmes ayant cheminé sur terre à l’heure où le corps s’éteint.
Cette âme universelle serait semblable à un nuage majestueux, rependant les gouttes que nous sommes sur les montagnes, les vallées, les plaines, les déserts et les mers.
Parfois, les gouttes chemineraient des hauts sommets jusqu’à l’océan.
Parfois, elles s’évaporeraient à l’impact sur le sable brûlant. Mais toutes retourneraient un jour au nuage ancestral.
Les gouttes se quitteraient, vagabonderaient, se rejoindraient et se mélangeraient. Elles feraient partie d’un tout qui grandi et ne meurt jamais.
Elles seraient faites pour s’aimer, car elles naissent de la même matrice.
Elles aspireraient à s’élever au plus haut pour que le nuage s’étende.
Et toutes les gouttes tristes de voir partir leurs compagnes de ruissellement auraient la douce certitude des retrouvailles à venir.

Le singe, la rage et la rage du singe en cage

Le singe, la rage et la rage du singe en cage

Pauvres singes que nous sommes aux heures où l’illusion s’échappe.
De l’abîme peut surgir la rage, monstre froid et hurlant. Il impose son désir destructeur aux âmes affaiblies par la peine.
En l’absence d’exutoire, de bouc émissaire sur lequel lâcher le monstre, la rage persiste. Le singe comprend qu’il est seul responsable de sa situation, et la rage persiste. Il est glacé par l’effroi que suscitent les flancs abrupts qui l’entourent, et la rage persiste.
Cette rage prisonnière du singe abattra alors son courroux sur la seule victime persistant sur sa liste, à savoir le singe lui-même.
Et le singe va s’attaquer au singe, c’est l’auto-agression. Elle est facile à mettre en oeuvre, elle soulage la douleur par la douleur. Tour à tour bourreau et victime, le singe punit et subit dans un cycle à l’intensité croissante.
Il abuse de ce qui fait mal et se soulage de ce mal qui l’abuse. Allongé sur le sol, il se voit sans vie et constate la sentence appliquée au fautif.
Les ressources profondes sont à mobiliser, ou le singe peiné s’éteindra sous les coups du singe enragé.

Les deux mains de Mani

Les deux mains de Mani

Notre monde est complexe.
Il ne s’agit pas d’évaluer une équation régissant l’univers ou de disserter sur l’histoire de l’homme. Il s’agit d’un fait et, après réflexion, beaucoup de personnes conviennent de cette complexité, si insondable qu’elle en devient neutre.
En nous même et en ce qui nous entoure, il y a une multitude de dimensions, de pôles, d’énergies, de dynamiques, d’ondes, et le tout s’exprime avec plus ou moins d’intensité.
Il est naturel, presque instinctif pour l’homme, de réagir face à ce gouffre par le déni. Il est des hommes qui simplifient ce grand tout afin d’en offrir une version aplanie, assimilable par l’esprit légèrement paresseux.
C’est à ce niveau qu’interviennent les langages sans profondeur, sans nuances, tronquant les concepts et n’offrant que de pâles réalités chargées négativement ou positivement.
Le roman 1984 de Gorge Orwell évoque ce type de langage à travers la « Novlangue ».
La déformation moderne, elle-même simplificatrice, du concept de manichéisme rend compte de certaines méthodes de manipulation extrêmement efficaces.
Chaque élément n’est plus placé dans une repère multi-axial mais monoaxial, avec ses valeurs négatives et ses valeurs positives.
Ce nouveau repère est une simple direction, définie par le marchant de foi. Il est enfin possible au paresseux de poser son cerveau et d’avancer doucement mais sûrement vers ses geôles.
Cette méthode date et nombreux ont été les axes (mal → bien) créés au fil des âges. Ceux-ci doivent être dépoussiérés ou renouvelés sporadiquement car ils perdent de leur efficacité sur le long terme.
Mais ils restent extrêmement réducteurs et puissants. Le dogme est toujours bien taillé et il accouche d’une prose répétée à outrance pour l’ancrer correctement dans l’inconscient.
Comble de la sournoiserie, les grands hommes, vecteurs d’espoir et fédérateurs, peuvent se voir dépossédés de leur message originel par un dogme construit par des marchants de foi en leur nom.
Il existe un stade ultime de cet avilissement qui est le langage binaire. Il n’y a alors plus d’axe mais un seul point. L’analyse furtive lui accorde alors la valeur 1 (c’est bien) ou 0 (pas bien).
Ce stade est le stade des extrémistes de tous poils, idiots utiles des manipulateurs. Ils en sont le bras armé que l’illusion rend insensibles.