L’éclat des ombres – Chap. 1

L’éclat des ombres – Chap. 1

Ce soir je suis assis dans ma terrasse, je fume une cigarette les yeux fixés entre deux étoiles esseulées. Je ne suis pas présent, je navigue dans le temps , entre constat et illusion. J’aime a m’asséner des rafales de vérités fadasses : « dure réalité », «ainsi va la vie » « a chaque jour suffit sa.. »…Autant de sacs de mots volatiles qui seront balayés à la première bourrasque, je le sais.

Comme tout un chacun, je cherche un sens dans le chaos et je suis prêt à m’atteler ardemment à construire une cathédrale de constructions mentales salvatrices. Nouveau constat, nouvelle boucle, nouvelle cigarette. Cela peut durer des heures et cela traîne depuis des années. J’ai conscience que trouver un sens à la réalité est une tare assez répandu parmi ma génération. Nos jeunes années ont été bercées par le saint Hollywood. Qu’importe la banalité de nos vie, nous cherchons la grandeur dans notre propre mensonge. Nos effets spéciaux s’élaborent dans nos mémoires sélectives et nos ego se drapent de personnages héroïques. Je charge mon cerveau d’une nouvelle salve, calibre « c’est la vie », et je tire dans le vide. Et pourtant, ce soir, surgissant du néant à travers les heures, le présent s’invite à ma salve. Surgissant de la pénombre, je perçoit un éclat sur cette terne terrasse. Mes divagations cessent et ma rétine s’active. Une lumière douce saisit chaque contour et le sort de l’oubli. Chaque élément de cet espace bordélique trouve soudain son unité dans un tableau incroyablement cohérent. Une lumière prometteuse caresse la matière, la lumière de la lune pleine, que j’aperçois malgré le millier de réverbères tapageurs. Ce soir, la lune fournit une autre dimension aux objets qui m’entourent. La subtilité de cette lueur leur laisse le loisir de prendre de l’ampleur. Ils y gagnent en sérieux, en dignité. Je lève les yeux et je vois les nuages argentés bomber leurs torses. Dieux de l’instant, ils s’assurent de la patience du temps qui se cache dernière ses aiguilles despotiques. L’ombre n’a plus le second rôle dans cette pellicule figée, c’est elle qui porte les formes et leur donne du crédit. J’inspire et je sens l’oxygène me nourrir. Je interprète rien. Mon sang est fluide et se fraie un chemin jusqu’au mince capillaires de ma peau. Celle-ci capte la moindre différence de pression induite par la brise de la nuit. Il y a quelque chose d’important ici et maintenant. Mon mental ne s’impose plus à ma conscience, il n’y a plus de boucles, plus d’inertie. Il y a les vibrations du bleu et du blanc, perdues dans le noir insondable. Il y a les vibrations de la matière ; celle du bois, celle du tissu, de la terre, et même de celle plutôt fade du plastic coloré. Il y la vibration de l’eau, omniprésente, que je sens à son tour sur ma peau. Il y a l’autre face du monde, l’autre face des ondes, le continent oublié, les êtres impalpables, le substratum. Je crois que je saisis cet éclat et l’incruste dans la place qui lui revient de droit, dans mon cœur. Ce constat me fige. Je reste là, plusieurs minutes, des heures peut-être, en perdition volontaire. Puis la fatigue me rattrape. Je retrouve le sol et sa densité péremptoire. Le temps martèle de nouveaux les secondes que je prends au visage tels des crochets frénétiques. Il est 3 heurs du matin. Je calcule mes heures de sommeil et je m’active afin d’en assurer le minimum. Je fume une dernière cigarette, pressé, puis je gagne ma salle de bain. Mécaniquement, je brosse mes dents face à un visage trop sérieux. Je navigue à vue jusqu’à ma chambre et je me plonge sans question dans un trop court oubli.

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